Du danger de prendre les romans pour modèles, par Maurice



L’article de François, publié dernièrement et intitulé rappel sur l’importance de s’aimer soi-même me donne l’opportunité de m’interroger sur quelques erreurs communes répandues chez les jeunes gens lettrés et quelques idées fausses ou du moins partielles et surtout dangereuses pour des jeunes esprits prometteurs mais encore malhabiles du fait de lectures pas encore totalement digérées.

1. Attention aux citations.

Je me dis que 4 citations dans un article qui ne contient guère plus qu’une seule idée, cela en fait bien 3 de trop. L’usage de la citation est un exercice piégeux, en ce sens qu’elle doit être comme la cerise sur le gâteau et correspondre parfaitement au propos, lui-même clair de son auteur qui ne devrait pas oublier que

« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement
Et les mots pour le dire viennent aisément. »

Cette précédente citation de Boileau, qui colle à mon propos, est une citation faisant partie de mon tout petit corpus personnel. Rares sont les personnes qui ont un corpus personnel étendu de citations et je crois que Stéphane est un des rares à en avoir un. Pour avoir un corpus personnel de citations, il me semble qu’il faut avoir une bonne mémoire visuelle, tout en pratiquant les Lettres au sens large, c’est-à-dire en les méditant, de telle sorte que l’on s’approprie telle ou telle citation que l’on juge utile avant tout pour soi. Le problème étant qu’à mon sens ceux qui sont pourvus de cette mémoire visuelle se retrouvent plutôt en Sciences et rechignent souvent aux Lettres.

De niveau inférieur à la précédente citation, la citation de type universitaire qu’on va chercher dans des livres pour un travail précis. Le pire : la citation prise dans des recueils. A des degrés divers, ces deux derniers types de citations donnent prise au contresens. Et c’est ce dans quoi François est tombé à plusieurs reprises.

Voici sa première citation : « Pénétrer jusqu’au fond des choses, séparer la connaissance vraie de l’apparence et de l’erreur, telle était pour l’homme socratique la plus noble des vocations, et même la seule qui fût véritablement humaine. » (Nietzsche, La Naissance de la Tragédie).

Et François ajoute :

« Et si je fais ici référence à Socrate, ce n’est pas totalement par hasard. En effet, je ressors des séminaires de Stéphane toujours avec la même impression, à la fois heureux et déçu. « 

Or, ce n’est pas François, contrairement à ce qu’il affirme, qui fait référence à Socrate, c’est Nietzsche, et il est très malheureux de citer Nietzsche ici car sa Naissance de la Tragédie est justement écrit contre… l' »homme socratique » au nom de la pureté hellénique représentée par la Tragédie, jeu exprimant cette tension permanente entre le dyonisiaque et l’apollinien, entre les forces instinctives et la raison, au nom donc de l’âme grecque et que l’on retrouverait, selon le philosophe allemand, dans l’opéra de Wagner (La Naissance de la Tragédie est en fait un éloge argumenté de Wagner… du temps de l’amitié courte du jeune philosophe et du musicien). Pour Nietzsche, le crime de l’homme socratique, c’est justement de faire de la recherche de la connaissance vraie contre l’apparence et l’erreur, la plus noble des vocations et la seule qui est véritablement humaine. Il s’agit d’un crime d’hybris annonciateur de la grande catastrophe chrétienne énoncée dans les œuvres ultérieures : l’homme dans la haine de soi dans un formidable retournement de son énergie vitale contre lui-même. Autrement dit, si François a peut-être raison d’associer Stéphane à la figure de Socrate – de ceci je ne juge pas – alors cela signifie logiquement que Stéphane, dans une optique purement nietzschéenne, serait un ennemi de la vie, une être de ressentiment, un monstre d’hybris méritant lui aussi de boire la cigüe. On voit où mène un usage maladroit des citations mal comprises peut-être par faute d’avoir une idée claire de l’œuvre dont elle est issue

Le style de la deuxième citation à lui seul aurait suffit à l’écarter : « il a touché mon âme, et dessillé mes yeux, et je regarde avec horreur le long aveuglement où j’ai été, et les désordres criminels de la vie que j’ai menée. » (Molière, Dom Juan ou le Festin de pierre, 1665). Le style est d’une préciosité caricaturale, grotesque, et on va voir que ce n’est pas sans dessein que Molière place un tel style, dans la deuxième réplique de la scène I de l’acte V de son Dom Juan.

Ceci étant d’emblée, il aurait tout de même fallu éliminer la deuxième partie de la citation : je veux bien qu’il manque quelque chose aux personnes qui n’ont pas encore assisté aux séminaires mais de là à en faire des monstres, je pense que personne n’irait jusque là. Pourtant, c’est la conclusion à laquelle on arrive si on garde la deuxième partie de la citation. De là une règle de base fort utile : les meilleures citations sont parfois les plus courtes.

Donc, « il a touché mon âme, et dessillé mes yeux » suffirait apparemment. Cependant, le style précieux « il a touché mon âme » contrebalancé par le très prosaïque « dessillé mes yeux » forme un ensemble grotesque et donc comique : il est non seulement en décalage total par rapport à la prose de François mais en outre, il ne correspond absolument pas à la personnalité de Don Juan, telle que brossée par Molière. Et de fait, il y a là encore un autre gros problème. C’est que lorsque Don Juan prononce ces phrases, il n’en croit pas un mot ! A la fausseté du style, correspond la fausseté du personnage. Et l’auteur ici aurait été bien inspiré de lire la didascalie (acte V, scène 1, deuxième réplique) :

« DOM JUAN, faisant l’hypocrite. » (pour préserver ses intérêts personnel).

qui aurait suffit à disqualifier l’ensemble.

2. Attention aux choix des concepts.

Est-ce que la distinction très rousseauiste d’amour de soi et d’amour-propre ici a quelque pertinence ? J’ai des doutes tant il est vrai qu’il me semble que le fait d’être séduisant à ses propres yeux mériterait d’autres arguments : Rousseau n’en a pas grand chose à faire de la séduction, ni à ses propres yeux, ni aux yeux des autres – on peut même dire que c’est un ennemi déclaré de la séduction -, quand il écrit Emile ou de l’éducation. Et c’est à mon sens tordre le cou aux concepts d’ « amour de soi » et d’ « amour-propre » que de les faire rentrer dans cette problématique.

Cependant, c’est justement lorsqu’il aurait fallu citer que la citation disparaît. Oui ! Il aurait fallu rendre à César ce qui appartient à César et ces deux concepts à son inventeur, Jean-Jacques Rousseau :

« L’amour de soi, qui ne regarde qu’à nous, est content quand nos vrais besoins sont satisfaits ; mais l’amour-propre, qui se compare, n’est jamais content et ne saurait l’être parce que ce sentiment, en nous préférant aux autres, exige aussi que les autres nous préfèrent à eux, ce qui est impossible (…) Ce qui rend l’homme essentiellement bon est d’avoir peu de besoins et de peu se comparer aux autres ; ce qui le rend essentiellement méchant est d’avoir beaucoup de besoins et de tenir beaucoup à l’opinion. » (Emile)

La gros problème dans l’argumentation de François, c’est que Rousseau nous parle de deux sentiments à mettre en relation avec la notion de civilisation qui déprave l’homme et l’idée du « bon sauvage ». L’amour de soi, c’est la satisfaction des besoins élémentaires, il ne faut absolument pas y mettre les notions éminemment aristocratiques de fierté ou d’orgueil car pour notre genevois, notre calviniste sans en avoir l’air, notre puritain caché sous le faux-nez d’une philosophie apparemment coupée de toute référence religieuse manifeste, tout le reste est amour-propre, y compris le fait de se faire valoir à ses propres yeux par tout un tas de moyens qui tous sont issus de la civilisation – car répétons-le un Rousseau ne croit pas à cette idée aristocratique de valeur personnelle qui est pourtant le fil conducteur de l’article de François, du moins dans Emile. Bref, il était en réalité bien malvenu de faire appel à ces deux concepts.

Plus que Socrate encore, Rousseau, qui, il faut bien le dire n’était pas quelqu’un de très équilibré, est un ennemi déclaré de la vie civilisée, élégante, raffinée, pour soi et pour les autres, et c’est à mon sens un auteur éminemment dangereux pour tout apprenti séducteur. Avec Rousseau, la philosophie retourne en quelque sorte aux âges primitifs de la religion chrétienne.  Ou pour le dire autrement, il est clairement l’auteur qui a fait rentrer des concepts protestants dans l’histoire de la philosophie, du moins française. Et puisqu’on parlait de Nietzsche, dont on sait tout le mal qu’il pouvait penser du calvinisme, je crois que les passages les plus violents contre un auteur par notre philosophe « vitaliste », concerne justement Jean-Jacques Rousseau.

Il y a donc un véritable problème à prendre pour concepts centraux de son argumentation des concepts peu opérants comme « amour de soi » et « amour-propre »,  et  après tout n’est-ce pas là le propre de l’amour qu’on peut lui faire dire tout et n’importe quoi ?

3. Apprendre à louvoyer avec intelligence (sociale).

La vie de Rousseau est très intéressante pour le cas qui nous intéresse car elle est en quelque sorte une expérimentation in vivo des thèses défendues par l’article de François, lui qui recommande de ne pas louvoyer, de ne pas chercher l’approbation d’autrui, d’être comme le chêne de la fable de La Fontaine et surtout pas comme le roseau qui courbe sous le vent… Une expérimentation aboutissant à une réfutation de la thèse défendu par François.

Comment a donc fini Rousseau, l’homme qui n’a jamais cherché à plaire à autrui et qui fonctionnait en quelque sorte en vase clos ? Aigri. Ne cessant de se justifier (Les Confessions). Condamné de tous. Moqué de toute part. Contraint à une solitude plus forcée – bien qu’autrefois rêvée dans un monde idéal – que volontaire, trouvant ses consolations dans l’écriture de ses Rêveries d’un promeneur solitaire. Manifestant des tendances paranoïaques. Voilà où un manque d’intelligence sociale mène, en dépit d’avoir été très longtemps protégé de semi-puissants avec lesquels il n’a pas su conserver de bonnes relations. Et je me demande dans quelle mesure son héritier spirituel, certes autrement plus médiocre, à savoir Robespierre, ne l’a pas vengé en envoyant tous ses ennemis ou simplement gêneurs à la guillotine.

Ah certes, Rousseau n’a pas louvoyé ! Il a persisté à affirmer les positions grotesques de sa philosophie avec force, d’abord avec ses alliés de l’Encyclopédie, puis contre ses alliés. Il a affronté tous les vents contraires au prix de la solitude sociale et du mépris de ses contemporains. Oui, vous qui voulez être droits et forts à l’image du chêne dans la fable de la Fontaine, n’oubliez pas la leçon de la fable, et sachez mesurer la force du vent contraire avant de vouloir faire étalage de ce que vous êtes, et en attendant, savoir faire le roseau n’est pas du tout inutile dans la vie de tous les jours.

Bien sûr qu’il faut développer ses qualités propres et s’aimer soi-même avant toute chose, agir de telle sorte que l’on soit fiers de ses actions et éviter de faire des choses qui conduise pire qu’à se détester soi-même, à se mépriser à ses propres yeux.. Mais il peut arriver que dans votre développement personnel, vous ne puissiez faire autrement que de détester tel ou tel aspect de l’époque dans laquelle vous vivez, vous ne puissiez penser avec des pensées totalement étrangères à celles de vos contemporains ou encore avoir un savoir supérieur à celui de vos contemporains eux-mêmes répondant à un autre type de conditionnement (ou pourquoi vous devriez garder vos conseils de séduction pour vous), vous pourriez même aller jusqu’au mépris de l’humanité si vous ne tempériez pas d’un peu de bienveillance vis-à-vis d’autrui votre propre développement qui risque de vous faire voir plus gros qu’un boeuf… C’est le revers de la médaille de celui qui cherche à s’améliorer que d’avoir la tentation de s’offusquer de la médiocrité ambiante.

Rien que pour moi, je me suis pris une volée de bois vert dans le forum parce que je ne supporte pas les anglicismes. De guerre lasse, je suis bien obligé de les supporter et de courber l’échine, me contentant de ne pas être trop contaminé par ce cancer linguistique lorsque j’écris (car on a une tendance naturelle à reproduire les fautes que l’on trouve dans ce qu’on lit). Et si vous vous mettez à être tout le temps contre tous au nom de votre « amour de soi », vous finissez non seulement seul, mais peut-être bien fou.

Il faut donc apprendre à agir avec diplomatie et comprendre que votre progression personnelle n’est aucunement celle de la société : apprentissage cruel s’il en est, mais ô combien nécessaire. Et plutôt que d’aller droit dans le mur, avoir une psychologie de chat par exemple : savoir sortir les griffes au bon moment, un petit coup de patte et attendre la réaction pour voir…

Pour prendre un exemple un peu extrême montrant l’intérêt qu’il y a à louvoyer, ici dans le cadre de la manipulation de foules : pas un Président de la République ne s’est fait élire sans louvoyer : c’est de Gaulle allant à Alger au cri de « Vive l’Algérie française », c’est Mitterrand faisant alliance avant les élections de 1981 avec les communistes pour mieux les étouffer ensuite, c’est Sarkozy adoptant des positions totalement contradictoires pendant sa campagne de 2007, c’est Hollande disant que son plus grand ennemi c’était la finance, avant de s’envoler deux jours plus tard pour aller rassurer la City de Londres. Bref, ne pas louvoyer, c’est bien, mais en politique, du moins dans nos institutions actuelles, ça donne des résultats à la Arlette Laguiller.

Voici un exemple plus prosaïque en forme de question. Avez-vous osé avouer votre pensée profonde à la jolie blonde en face de vous qui pense à peu près le contraire de vous sur un point important, mais que vous avez tout de même envie de mettre dans votre lit ce soir parce que son petit cul vous plaît drôlement ?

Enfin, François m’offre le dernier exemple sur un plateau : Montherlant est presqu’un cas d’école de louvoiement puisque le monde a découvert son homosexualité à tendance éphébophile après sa mort, tandis qu’il mentait par omission à tous pour préserver sa carrière, lui écrivain de droite apprécié par des lecteurs essentiellement de même sensibilité du temps de son vivant. Il se déclarait « célibataire par choix »… et certes, bien sûr, après, rien ne l’empêchait d’écrire à l’exemple de la citation reprise plutôt hors propos encore une fois par François :

« je n’ai que l’idée que je me fais de moi pour me soutenir sur les mers du néant »

Mais je dois dire que cette phrase correspond mal avec ses levages de gamins dans les salles obscures de cinémas de quartier (cf correspondance avec Roger Peyrefitte). On pourrait en tirer une sorte de règle générale qu’il y a un côté aristocratique chez nombre d’homosexuels qui est comme un pendant esthétique et un magnifique rideau pudique cachant tout un aspect sordide de leur vie. (Je dis ceci en précisant que j’aime beaucoup lire Montherlant, mais qu’il ne faut pas être totalement dupe de cet écrivain, comme d’aucun écrivain d’ailleurs, sans doute). Mais revenons au sujet…

Pour le strict cadre de ce site, la citation d’Alain « L’intelligence consiste à faire, en y pensant, ce que tout le monde fait sans y penser. » est utile mais là encore pas tout à fait dans le sens que le prend François. Cette intelligence permet de faire en mieux ce que tout le monde fait sans y penser : c’est là un des secrets de l’homme séduisant tel que prôné par Spike Séduction.

Bien sûr que chercher à tout prix l’amour des autres n’est pas la bonne attitude à avoir et qu’une attitude servile vous vaudra plus sûrement le mépris que l’admiration, cependant, attention à ne pas faire que s’aimer soi-même (au sens discutable développé par François) en négligeant l’amour-propre, au risque de vous faire détester, voire mépriser d’autrui si l’opinion que vous avez de vous-même ne correspond à rien de tangible, si vous n’avez rien fait à vos propres yeux qui puisse justifier cette haute opinion de vous-même que vous ne pouvez vous empêcher d’étaler à autrui, qui bientôt ne rira plus seulement dans votre dos. Ni servile, ni hautaine, la bonne attitude à adopter en ces circonstances relève de l’équilibre. Parfois vous pouvez foncer sans vous briser, mais parfois vous serez bien obligé de louvoyer sous peine que l’on ramasse votre colonne vertébrale à la petite cuillère : dans une optique de séduction, n’oubliez donc jamais de développer votre intelligence sociale et votre empathie en même temps que vos propres aptitudes personnelles, ou mieux, faites en une aptitude personnelle.

Cet équilibre difficile à atteindre, François lui-même le comprend, lui qui termine son propos avant sa malheureuse citation de Montherlant, et de manière quelque peu contradictoire avec ce qui précède, par « si j’étais cette personne, est-ce que je me choisirais ? » Je ne saurais être plus d’accord ! Cet équilibre est difficile à atteindre car dépendant de chaque situation et en fonction de la compréhension que vous avez des forces en présence – et il peut arriver que nous ayons le cerveau un peu lent, c’est en tout cas mon cas.  Cet équilibre d’une fierté acquise dans une sorte de compromis entre le moi social et le moi intime, et le moi intime est toujours en quelque sorte aussi un moi social, un moi construit socialement, c’est un art véritable, celui de l’équilibriste sur son fil.  Apprendre à marcher sur un fil, est-ce que ça ne serait pas une bonne définition de l’enseignement que se propose Spike Séduction ?

Il est par ailleurs évident que dans un cadre différent de celui de la séduction, vous pouvez devenir philosophe de génie, être pleinement vous-même, et être raide comme un piquet dans vos convictions, et vous satisfaire de quelques dizaines de disciples béats du temps de votre vivant, mais comme nous sommes dans le cadre d’un site de séduction, je me suis ainsi permis de modérer quelque peu les propos de François. D’ailleurs, Nietzsche, cet ennemi intransigeant – mais plus rigolo – de Rousseau, a mené lui aussi la même vie solitaire : le prix à payer du génie, c’est peut-être ça : la solitude. Donc attention à ne pas confondre Spike Séduction avec Spike Génialitude ! Et si j’avais un dernier conseil : aimez la littérature, certes, mais comme on aime une femme, en se méfiant toujours un petit peu de ces auteurs qui ont certes compris bien des choses mais n’ont pas été non plus exempts d’erreurs. « Humains trop humains », comme disait Nietzsche. Votre discernement, comme en beaucoup de choses, ne pourra être que bénéfique là aussi.

Maurice

Crédit photo : martinak15


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6 commentaires

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  • Bonjour, c’est fou le nombre d’écrivains à tendance sexuelle un peu bizarre narcissique ou de nostalgie de jeunesse, j’ai lu par ailleurs que Duras aussi était ephebophile

  • Je remercie Maurice pour son excellent article car il apporte des précisions nécessaires sur la pensée des auteurs que j’ai cités. Cependant, mon intention n’était pas de détailler la philosophie de Nietzsche ou de Rousseau. Je me suis simplement servi de certains passages afin d’expliciter mon propre propos, ce qui est une différence majeure. Toutefois, je n’ai pas été assez clair, erreur que je vais essayer de réparer dès à présent.

    1. Sur Nietzsche

    « Pénétrer jusqu’au fond des choses, séparer la connaissance vraie de l’apparence et de l’erreur, telle était pour l’homme socratique la plus noble des vocations, et même la seule qui fût véritablement humaine. » (Nietzsche, La Naissance de la Tragédie, 1872).

    S’agissant de Nietzsche, Maurice a entièrement raison. La philosophie du moustachu s’érige contre la doctrine platonicienne du kalos kagathos (« beau et bon » en grec) qui revient à dire que le « vrai » et le « bien » sont équivalents. Le philosophe allemand s’insurge également contre la recherche de la vérité chez Socrate. A la question du philosophe grec qui se demande : « qu’est-ce qui est vrai ? », Nietzsche s’interroge au contraire sur le besoin qu’a l’homme de désirer la vérité. Il est un généalogiste de la morale car il s’attache à repérer sous ce qu’il y a de plus nobles les plus viles intentions. Il cherche à repérer le vice sous la vertu.

    « Nous aurions souvent honte de nos plus belles actions si le monde voyait tous les motifs qui les produisent. » (La Rochefoucault, Maxime 409)

    En ce sens, j’aurais dû préciser que Nietzsche s’affichait contre Socrate. Mais ce qui m’intéressait était la définition que donne Nietzsche de « l’homme socratique », et non pas la position philosophique de Nietzsche. La citation incriminée permettait ainsi d’illustrer la volonté de Stéphane de réintroduire du vrai, du bien et de la morale chez les hommes d’aujourd’hui. Qu’il m’arrête si je me trompe sur ce point.

    2. Sur Dom Juan de Molière

    « il a touché mon âme, et dessillé mes yeux, et je regarde avec horreur le long aveuglement où j’ai été, et les désordres criminels de la vie que j’ai menée. » (Molière, Dom Juan ou le Festin de pierre, 1665).

    S’agissant de la citation extraite du Dom Juan de Molière, oui, elle est grotesque et évidemment le célèbre séducteur n’en croit pas un mot. C’est trop gros pour être vrai, comme on dit. Il n’empêche, j’aime cette citation car malgré son emphase, elle sonne juste en mon for intérieur. Peu m’importe qu’il n’y croie pas lorsqu’il l’affirme. Je pense que nous sommes nombreux ici à avoir voulu incarner un jour une sorte de Casanova du XXIe siècle. Pour ma part, je l’ai désiré ardemment et je ne le désire plus tellement. Cette citation était donc comme un clin d’œil à cet « ancien moi » qui aurait pu tenir de tels propos avec la même hypocrisie il y a quelques années, alors qu’aujourd’hui je les prends avec davantage de sérieux.

    Concernant Rousseau, je pense, contrairement à Maurice, qu’il n’était pas si insensible que cela à la séduction. Dans le cas contraire, aurait-il écrit Les Confessions ? Je suis convaincu pour ma part que celui qui affirme être complètement froid à l’effet qu’il produit chez autrui est un imposteur, et Rousseau ne fait pas exception. Je trouve d’ailleurs une telle posture plus hypocrite que le simple fait de reconnaître cette dépendance. Abordant le thème de la modestie, La Rochefoucault ne disait-il pas que

    « Le refus des louanges est un désir d’être loué deux fois. » (Maxime 149) ?

    Pour ce qui est de l’ « amour de soi », je n’ai jamais souhaité le définir comme un sentiment élitiste au sens où il s’agirait de se convaincre d’être au-dessus des autres. Il n’est pas ici question d’orgueil ou de fierté mal placée mais d’une bienveillance à l’égard de soi-même. Il s’agit d’avoir la conviction d’être quelqu’un de bien et de respectable quand bien même la société aurait tendance à vouloir nous dire qu’il nous manquera toujours quelque chose pour « être » véritablement.

    3. Sur le louvoiement en société

    Je ne crois pas avoir appelé les hommes à être de véritables « dieux » ou des figures héroïques. Je pense seulement qu’il est louable, tout en sachant ce qu’est la nature humaine, de vouloir faire le plus de bien possible. Je n’ai pas dit : « faites le bien » mais « faites le plus de bien qu’il vous est possible de faire ». Il y a là une nuance de taille.

    Et je cite Stéphane qui citait lui-même Nietzsche : « Aimez ce (ceux) qui vous fait du bien. » Pour le reste, …

  • @ Maurice

    Merci pour ta réponse et tes observations !

    En effet citation contre citation la pensée de Rousseau paraît difficile à saisir (est ce de la complexité, du paradoxe, de la contradiction ou une évolution de l’auteur ?) et s’il est à la source du pédagogisme actuel cet aspect là n’est pas vraiment ma tasse de thé non plus.

    Pour Soral oui on peut toujours critiquer sa forme, et c’est justement parce que c’est avant tout le fond qui m’intéresse sans penser qu’il détient la vérité que j’étais curieux de ta réponse.

    Sur Robespierre, je te conseille la conférence d’Henri Guillemin qui pourrait peut être t’amener à évoluer sur ta vision du personnage
    https://www.youtube.com/watch?v=hrghLyElSCY

    Et j’avoue qu’en effet la simple phrase de cultiver son jardin de Voltaire m’a parlé souvent..
    Cette conversation ne cesse aussi de me rappeler qu’il reste tant à lire, et me fait me rendre compte que la seule chose que je sais c’est que je ne sais pas grand chose ^^

  • @ Xavier,

    Tout d’abord un grand merci pour ces compliments.

    Je pense qu’en effet, pour les besoins de ma cause, je suis peut-être allé un peu fort sur Rousseau. C’est le Rousseau vu par Nietzsche (d’après des souvenirs lointains de Nietzsche) que j’attaquais, mais aussi des souvenirs personnels :

    “Je voudrais qu’on choisît tellement les sociétés d’un jeune homme, qu’il pensât bien de ceux qui vivent avec lui ; et qu’on lui apprît à si bien connaître le monde, qu’il pensât mal de tout ce qui s’y fait. Qu’il sache que l’homme est naturellement bon, qu’il le sente, qu’il juge de son prochain par lui-même ; mais qu’il voie comment la société déprave et pervertit les hommes ; qu’il trouve dans leurs préjugés la source de tous leurs vices ; qu’il soit porté à estimer chaque individu, mais qu’il méprise la multitude ; qu’il voie que tous les hommes portent à peu près le même masque, mais qu’il sache aussi qu’il y a des visages plus beaux que le masque qui les couvre”
    Emile

    Comme le dit Soral, lui-même, Rousseau est plutôt du genre insaisissable. Mais en même temps, peut-on penser toujours exactement la même chose à 30 ans, à 40, à 50 etc ? Ceci étant, insaisissable tandis que Soral, lui, aurait pu le saisir ?…

    Je ne suis pas un spécialiste de Rousseau, loin de là, mais le mal que fait son Emile, qui est vraiment le livre sur lequel on se base pour atomiser l’Education nationale et cette filiation reconnue par Soral lui-même, Robespierre (que j’appelle personnellement le Boucher), Hegel, Marx, suffisent pour me le rendre plutôt antipathique.

    Mais, car il y a un énorme « mais » avec Rousseau : son écriture, son style. C’est malgré tout toujours un bonheur de lecture. Et Kant disait qu’il écrivait tellement bien qu’il était obligé de relire bien souvent à deux fois ce qu’il disait, hypnotisé qu’il était par le style, pour comprendre ce qu’il disait.

    Soit dit en passant, il est dommage que Soral persiste à jurer comme un charretier – ou comme une tricoteuse du Tribunal révolutionnaire – pour défendre son Rousseau : cela ne le grandit absolument pas à mes yeux, bien au contraire et cela empêche un débat serein.

    Il a raison aussi de dire que Voltaire est un sacré fripon, mais là encore, deux choses sur Voltaire : si sa philosophie se réduit à quelques phrases, voire à un « il faut cultiver son jardin », cela me semble bien plus intéressant que tout Hegel. Enfin, c’est aussi une sacrée plume, d’un genre totalement différent de celui de Rousseau. Style ample pour Rousseau, style coupé pour Voltaire, de telle sorte qu’à fréquenter ses deux-là, on a déjà une sacrée idée de ce que peut permettre la langue, et une bonne école à écrivains – qu’on complètera par la fréquentation des auteurs du XVIIème, tellement négligés alors qu’ils sont les plus grands, sans doute.

    Tout ceci me donne bien envie de me replonger dans Rousseau. Le problème d’aimer lire, c’est que l’on regrette, arrivé à un certain âge, de ne pas vivre 500 ans. Quel dommage, non ?

    ***

    @ Estrelinha

    Là encore merci beaucoup pour ces compliments. Je crois que ce qui me touche encore plus dans ton intervention, comme dans celle de Xavier, c’est que mon article suscite des réflexions à leur tour intéressantes. Et d’ailleurs, un grand merci à l’auteur que je critique pour m’avoir permis à mon tour de mettre en branle ma machine à penser – un sacré diesel pourtant ;).

    Je conseille à tous, en complément, la lecture de cet article : http://www.hommesdinfluence.com/articles/seduction-avance/10710_developpement-personnel-limites-dangers.html .

    Mais je pense que je n’en ai pas fini avec ce thème d’ailleurs, et que j’y reviendrai, ici ou dans le forum.

  • Article très intéressant et très pertinent, qui nous rappelle de toujours faire preuve du discernement cher à Stéphane en replaçant les citations dans le contexte dans lequel elles ont été écrites.

    J’aimerais néanmoins rebondir sur les critiques adressées à Rousseau par l’auteur :

    « Plus que Socrate encore, Rousseau, qui, il faut bien le dire n’était pas quelqu’un de très équilibré, est un ennemi déclaré de la vie civilisée, élégante, raffinée, pour soi et pour les autres, et c’est à mon sens un auteur éminemment dangereux pour tout apprenti séducteur. Avec Rousseau, la philosophie retourne en quelque sorte aux âges primitifs de la religion chrétienne. »

    https://www.youtube.com/watch?v=0z3whrh0W9w

    A la fin de cette vidéo, Soral cite un extrait de Rousseau qui me semble être pertinent pour démontrer qu’au contraire Rousseau défend la civilisation et est porteur d’une vision progressiste.

    Néanmoins je ne suis pas un expert de cette pensée, donc si cet extrait a été mal interprété je serai ravi d’avoir une réponse de Maurice :)

  • Eh ben dis donc, ce site ne cessera jamais de me surprendre, cette critique est tout simplement fabuleuse.

    Comme quoi, même quand un proverbe ou une citation semble être en plein dans le mille, on doit s’intéresser à la voie ou l’opinion de son auteur car cela nous indique pourquoi et/ou dans quel but il l’a dit, ce qui peut amener à totalement remettre en question son exactitude ou sa véracité.

    Par ailleurs, ton presque chiasme entre Spike Seduction et Spike Génialitude est excellent car il met en lumière une erreur que je vois très souvent dans les écrits sur la séduction par…tout le monde au moins une fois (donc je m’y inclus). Dans Spike Seduction, la séduction en elle-même n’est un thème initial et rassemblant pour ouvrir sur un grand nombre de thématiques qui lui sont plus ou moins liées. Ceci vient du constat que le fait de ne pas avoir de succès avec les femmes n’est le « problème » avec un grand P mais le symptôme d’un « problème » au champ bien plus vaste. Par conséquent, un lecteur qui est venu ici pour faire le travail nécessaire pour être un meilleur séducteur rapidement pousser le bouchon un peu loin et vouloir devenir la personne la plus géniale possible. Ceci a pour origine un fantasme de toute-puissance et de perfection qui n’est toujours pas guéri. Du coup, on lit dans les commentaires ou dans les articles, des dogmes de l’homme parfait 2.0.

    C’est pourquoi je me permets une toute petite correction de l’article: là où Maurice dit que l’enseignement de Spike Seduction est similaire à « apprendre à marcher sur un fil », je compléterai de la manière suivante:

    « Apprendre à marcher sur un fil et à trouver les endroits du fil où on pourrait courir si on sent qu’on serait incapable de marcher du début à la fin du fil ».

    Comprendre les règles pour mieux en jouer en y mettant du sien, de sa personnalité.