Sérotonine (extraits)

Les femmes sont moins vénales qu’on ne le prétend parfois, question bijoux tu leur achètes un colifichet africain de temps à autre et ça passe mais si tu les baises plus, là ça commence à craindre.

Michel Houellebecq, Sérotonine, 2019

Au bout de 2 minutes je me rendis compte que parler me fatiguait encore plus que d’écouter, c’étaient les relations humaines en général qui me posaient un problème, et tout particulièrement, il fallait bien en convenir, les relations humaines avec Claire.

Michel Houellebecq, Sérotonine, 2019

Elle se nourrissait de thé vert et de graines de lin, pendant la demi-heure qu’avait duré ma visite elle m’avait uniquement parlé de son allocation d’adulte handicapée. J’étais ressorti avec des envies de demis pression et de sandwiches aux rillettes, en même temps conscient qu’elle allait tenir très longtemps comme ça, au moins jusqu’à quatre vingt dix ans, elle me survivrait sans doute largement, de plus en plus tremblante, de plus en plus desséchée et craintive, créant sans cesse des problèmes de voisinage alors qu’en réalité elle était déjà morte, j’avais été conduit à fourrer mon nez dans le con d’une morte.

Michel Houellebecq, Sérotonine, 2019

Nous habitions un grand trois pièces au 29ème étage de la tour Totem, une espèce de structure alvéolée de béton et de verre posée sur 4 énormes piliers de béton brut, qui évoquait ces champignons d’aspect répugnant mais paraît-il délicieux que l’on appelle je crois les morilles. La tour Totem était située au coeur du quartier Beaugrenelle, juste en face de l’île des Cygnes. Je détestais cette tour et je détestais le quartier Beaugrenelle, mais Yuzu adorait cette gigantesque morille de béton, elle en était « immédiatement tombée amoureuse », c’est ce qu’elle déclarait à tous nos invités, au moins dans les premiers temps, elle le déclarait peut-être toujours d’ailleurs mais ça faisait bien longtemps que j’avais renoncé à rencontrer les invités de Yuzu, immédiatement avant leur arrivée je m’enfermais dans ma chambre et je n’en sortais plus de la soirée.

(…)

Notre couple était en phase terminale, plus rien ne pouvait le sauver et d’ailleurs cela n’aurait même pas été souhaitable, cependant il faut en convenir nous disposions de ce qu’il est convenu d’appeler une « vue superbe ».

Michel Houellebecq, Sérotonine, 2019

Étais-je capable d’être heureux dans la solitude ? Je ne le pensais pas. Étais-je capable d’être heureux en général ? C’est le genre de questions, je crois, qu’il vaut mieux éviter de se poser.

Michel Houellebecq, Sérotonine, 2019

J’ouvris les bras avec élan pour m’exclamer qu’elle avait l’air en pleine forme, qu’elle n’avait absolument pas changé, je ne sais pas d’où ça me vient cette aptitude au mensonge (…)

Michel Houellebecq, Sérotonine, 2019

Je produisis alors un récit simplifié de mes dernières mésaventures conjugales, disant à peu près la vérité sur tout (à part les aventures canines de Yuzu, que j’estimais inutiles à la compréhension d’ensemble), la seule différence notable étant que dans mon récit c’était Yuzu qui avait finalement décidé de repartir au Japon, obtempérant finalement aux représentations répétées de sa famille, et présenté comme ça le truc devenait assez beau, un conflit classique entre l’amour et le devoir familial.

Michel Houellebecq, Sérotonine, 2019

Profiter de ce que je la voyais mariner dans d’amples méditations femelles aggravées d’un second verre de cognac, je me réajustai discrètement, et au moment même où je refermais ma braguette je fus traversé par la pensée que nous étions aujourd’hui le 1er octobre, dernier jour du préavis de l’appartement de la tour Totem.

Michel Houellebecq, Sérotonine, 2019

Je venais de faire le plein de diesel et je buvais lentement un Coca Zéro, appuyé contre la carrosserie, gagné par une morosité croissante à l’idée que Yuzu arriverait le lendemain, lorsqu’une Coccinelle Volkswagen se gara en face de la station de gonflage.

Deux filles de la vingtaine en sortirent, même de loin on voyait qu’elles étaient ravissantes, ces derniers temps j’avais oublié à quel point les filles pouvaient être ravissantes, ça m’a fait un choc, comme une espèce de coup de théâtre exagéré, factice (…). Les filles étaient réelles pourtant, et je fus saisi d’une légère panique lorsque l’une d’elles vint vers moi (…). Pourquoi venait-elle à moi, jeune et désirable, en cette après-midi d’été ? Elle et son amie souhaitaient vérifier la pression de gonflage de leurs pneus (enfin, des pneus de leur voiture, je m’exprime mal) (…) Sa compagne était plus conforme aux standards attendus de l’Espagnole – cheveux d’un noir profond, yeux d’un brun foncé, peau mate. Son look était un peu moins baba cool, enfin elle semblait une fille assez cool aussi, mais moins baba, avec une petite touche un peu salope, un anneau d’argent perçait sa narine gauche, le bandeau recouvrant ses seins était multicolore, d’un graphisme agressif, traversé de slogans qu’on pouvait qualifier de punk ou de rock pour simplifier. Contrairement à sa compagne elle portait un short et c’était encore pire, je ne sais pas pourquoi on fabrique des shorts aussi moulants, il était impossible de ne pas être hypnotisé par son cul (…)

Eussions-nous été dans un film porno que la suite eût été encore été bien davantage prévisible, mais l’importance du dialogue moindre. Tous les hommes souhaitent des filles fraîches, écologiques et triolistes – enfin presque tous les hommes, moi en tous cas.

Nous étions dans la réalité, de ce fait je suis rentré chez moi. J’étais atteint par une érection, ce qui n’était guère surprenant vu le déroulement de l’après-midi. Je le traitai par les moyens habituels.

Michel Houellebecq, Sérotonine, 2019

Aymeric n’était pas puceau enfin je ne crois pas, il ne donnait pas l’impression d’avoir peur des filles mais plutôt de penser à autre chose, peut-être à sa vie professionnelle, il y avait en lui un sérieux qui m’avait sans doute échappé à l’époque, parce que ma vie professionnelle pour ma part je m’en foutais complètement, il me paraissait invraissemblable qu’on s’intéresse sérieusement à autre chose qu’aux filles – et le pire est qu’à 46 ans je m’apercevais que j’avais eu raison à l’époque, les filles sont des putes si on veut, on peut le voir de cette manière, mais la vie professionnelle est une pute bien plus considérable, et qui ne vous donne aucun plaisir.

Michel Houellebecq, Sérotonine, 2019

(…) il y a juste que j’étais seul, littéralement seul, et que je ne tirais aucune jouissance de ma solitude, ni du libre fonctionnement de mon esprit, j’avais besoin d’amour et d’amour sous une forme très précise, j’avais besoin d’amour en général mais en particulier j’avais besoin d’une chatte, il y avait beaucoup de chattes, des milliards à la surface d’une planète pourtant de taille modérée, c’est hallucinant ce qu’il y a comme chattes quand on y pense, ça vous donne le tournis, chaque homme je pense a pu ressentir ce vertige, d’un autre côté les chattes avaient besoin de bites, enfin du moins c’est ce qu’elles s’étaient imaginé (…)

Michel Houellebecq, Sérotonine, 2019

« Les femmes, ça a besoin de vacances… » Il en parlait de manière assez vague, comme d’une espèce apparentée, mais qu’il connaissait mal (…) Il aurait pu ajouter que, du point de vue shopping, c’était pas Babylone, et que la Fashion Week n’était pas près de se décentraliser à Canville-la-Rocque. En même temps, je me disais, elle n’avait qu’à épouser quelqu’un d’autre, la salope.

Michel Houellebecq, Sérotonine, 2019

(…) « Elle est partie avec un mec », ajouta t-il après un très long silence. Il eut une sorte de petit gémissement douloureux, involontaire, juste après le mot « mec ». Là il n’y avait rien à répondre, on était dans le dur, dans l’humiliation masculine à l’état brut, et je ne pus qu’émettre à mon tour un gémissement douloureux correspondant. « C’était un pianiste, poursuivit-il, un pianiste connu, il fait des concerts partout dans le monde, il a enregistré des disques. Il était venu là pour se reposer, pour faire un break, et puis il est reparti avec ma femme… » (…)

« On a un très bon piano dans le chateau, un Bösendorfer demi-queue qui appartenait à une de mes aïeules, elle tenait une espèce de salon pendant le Second Empire, enfin dans la famille on a jamais été des mécènes, jamais comme les Noailles, mais elle avait quand même un salon, il paraît que Berlioz a joué sur ce piano, bref je lui ai proposé de jouer s’il voulait, il a fallu le faire réaccorder bien sûr, mais enfin il a passé de plus en plus de temps dans le château, et maintenant voilà, ils habitent à Londres mais ils se déplacent beaucoup, il fait des concerts partout dans le monde, en Corée du Sud, au Japon… »

Michel Houellebecq, Sérotonine, 2019

« Cécile c’était une grosse salope laisse-la baiser avec son pianiste et oublie tes filles, déménage, revends la ferme, oublie tout le truc absolument, si tu t’y prends tout de suite tu as encore une petite chance de recommencer ta vie. »

Michel Houellebecq, Sérotonine, 2019

Je ne m’attendais à rien de bien passionnant, concernant l’Allemand ; je me trompais. Vers cinq heures de l’après-midi, une petite fille frappa à la porte de son bungalow ; enfin une petite fille entendons-nous, c’était une brunette d’une dizaine d’années au visage enfantin, mais elle était plus grande que son âge. Elle était venue à vélo, car elle devait vivre dans les environs immédiats. Bien entendu, je soupçonnais immédiatement une affaire de pédophilie : quelle raison pouvait bien avoir une petite fille de dix ans pour frapper à la porte d’un quadragénaire misanthrope et sinistre, allemand de surcroît ? Était-ce pour qu’il lui fasse la lecture des poèmes de Schiller ? C’était bien plus vraisemblablement pour qu’il lui montre sa queue. L’homme avait d’ailleurs tout à fait un profil de pédophile, cultivé dans la quarantaine, solitaire, incapable de nouer des relations avec les autres et encore moins avec les femmes, c’est ce que je me dis avant de me rendre compte qu’on aurait pu dire la même chose de moi (…)

Michel Houellebecq, Sérotonine, 2019

Elles (NDLR : les filles de l’Est) se lèveront à cinq heures du matin pour la traite (NDLR : des vaches), m’enthousiasmai-je, de plus en plus convaincu par ma propre évocation, je visualisais la Moldave, ensuite elles te réveilleront avec une pipe, et en plus le petit déjeuner sera prêt !…

Michel Houellebecq, Sérotonine, 2019

Sinon, il y a aussi les putes en Thaïlande.

Michel Houellebecq, Sérotonine, 2019

J’aurais pu rendre une femme heureuse. Enfin, deux ; j’ai dit lesquelles. Tout était clair, extrêmement clair, depuis le début ; mais nous n’en avons pas tenu compte. Avons-nous cédé à des illusions de liberté individuelle, de vie ouverte, d’infini des possibles ? Cela se peut, ces idées étaient dans l’esprit du temps ; nous ne les avons pas formalisées, nous n’en avions pas le goût ; nous nous sommes contentés de nous y conformer, de nous laisser détruire par elles ; et puis, très longuement, d’en souffrir.

Michel Houellebecq, Sérotonine, 2019

Le monde extérieur était dur, impitoyable aux faibles, il ne tenait presque jamais ses promesses, et l’amour restait la seule chose en laquelle on puisse encore, peut-être, avoir la foi.

Michel Houellebecq, Sérotonine, 2019


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