10 raisons de (re)lire Autant en emporte le vent, par Maurice



Injustement catalogué roman pour femmes en mal de romantisme, le roman de Margaret Mitchell devrait faire partie du bagage culturel de tout gentilhomme, non pas seulement parce qu’il est un monument de la littérature mondiale mais aussi parce qu’il est une formidable éducation sentimentale, une éducation ne concernant pas que l’amour, mais aussi l’amitié, l’amour parental, la haine, la jalousie, l’envie, le sentiment patriotique…

Je ne sais pas quelles étaient les pensées de Margaret Mitchell vis-à-vis de Nietzsche et de Darwin, je ne sais pas si elle les a lus ou non, je ne connais pas grand chose de cet auteur, mais on a là une étude puissante sur ce que sont les forts et les faibles, tant au niveau de la sélection naturelle pour la survie que de la volonté de puissance pour la domination et ce, dans tous les domaines : politiques, communautaires, familiaux, amicaux, amoureux et des conclusions à ces études qui devraient en surprendre plus d’un.  Précision : j’ai volontairement omis de rien raconter de l’histoire dans ce qui suit.

Voici dix raisons pour lire ce pavé

(entre 700 et 1500 pages selon les éditions)

1. Autant en emporte le vent est une fresque remarquable en tout point, un chef d’œuvre à mettre au rang des plus grands. Un récit qui vous obsèdera pendant quelques semaines au point que vous en rêverez les nuits où vous vous déciderez de dormir au lieu de le lire, afin de compenser les heures de sommeil perdues. Apprêtez-vous cependant à faire le grand huit des sentiments et à sauter d’une page l’autre de la joie à la tristesse, de la pitié au bonheur…

2. La majorité des lecteurs s’accordent avec moi pour dire que c’est aussi un voyage que vous faites : vous pénétrez dans une autre Amérique, au coeur de son système, au coeur de la mentalité de ses gens. Un voyage, oserai-je le dire, autrement plus enrichissant que n’importe quelle escapade de quinze jours dans n’importe quel coin de la planète, et pour bien moins cher !

3. Un auteur qui s’avère être aussi une femme vous fait plonger dans l’intimité d’une jeune femme de 16 ans, soit à peu près l’équivalent mental d’une femme de 25 ans de nos jours en terme de maturité, une adolescente extrêmement attirante, qui est le centre d’attention de tous les hommes. Et Margaret Mitchell analyse remarquablement tout ce que cela implique comme conséquences psychologiques et sociologiques, le tout s’étalant sur 12 ans, à travers une série d’expérimentations, dont certaines pour le moins limites…

4. Vous percevrez mieux comment fonctionne une femme déclassée ayant conservé de l’ambition – ou le syndrome de la « femme russe », ou comment on peut être à la fois femme-femme et femme-enfant.

5. Vous élargirez votre compréhension des rapports hommes/femmes, mais aussi de toute relation humaine, à des frontières insoupçonnées et vous élargirez aussi sans doute votre sensibilité au charme féminin par delà des considérations simplement physiques. Au programme notamment : entraides et manipulations

6. Le vent, c’est le temps, ce mystère par lequel s’écoule la vie mais c’est aussi ici ce souffle romanesque qui vous la fait aimer, cette vie, comme aucun autre livre à ma connaissance n’a réussi à le faire. Il vous la fait non seulement aimer, mais il vous donne envie de la bouffer. Je crois que l’on ne peut que recommander fortement cet ouvrage pour les personnes un peu déprimées. Je me souviens que Françoise Sagan offrait Un Amour de Swann à chacun de ses amis en peine de cœur : je pense que c’est une erreur (car c’est un livre qui vous fait revivre les tortures de l’amour blessé d’une manière trop précise et rouvre bien plutôt les plaies qu’il ne les referme), elle aurait mieux fait de choisir celui-ci, et pour vous, si c’est votre cas, il y a une chance que de votre ex qui vous a mis plus bas que terre vous finissiez vous aussi par dire :

« Je m’en soucie comme d’une guigne »

7. Je me souviens que dans l’Homme idéal de Stéphane E., il était question d’un garçon de 5 ans dont la liberté s’attire la sympathie de tous. Cet esprit enfantin, ce goût du jeu, de l’aventure, de l’indifférence au qu’en dira-t-on, on le retrouve chez un des personnages masculins, dont il se pourrait bien que vous fassiez une sorte de modèle, une sorte d’exemple, une sorte de « grand frère », que sais-je, dont vous corrigerez pour vous-même sans doute certains défauts mais qui peut-être vous en corrigera aussi certains. Beaucoup d’aspects théoriques de la séduction et des relations humaines se trouvent en quelque sorte incarnés, et c’est tout bonnement passionnant. Et j’ajouterais volontiers que je ne peux que recommander cet ouvrage aux étudiants en Lettres et affiliés, voire même aux lycéens, eux qui sont si souvent des personnes anémiées, introverties, nourris qu’ils sont de lectures grisâtres : ils y trouveront à mon sens un contenu plus propice à leur épanouissement personnel que 90% de ce qu’on leur fait lire – tout en ayant la qualité qui plus est.

8. Ce livre, lu par beaucoup de femmes – alors qu’il n’est en rien « un livre pour femmes » car l’on y respire aussi bien la parfum du magnolia que celui du corps en putréfaction -, leur confère un avantage indubitable au jeu de la séduction sur ceux qui l’ignoreraient. Suite à une petite enquête personnelle, toutes les femmes aux alentours de la quarantaine à qui j’ai demandé si elles avaient lu ce livre, l’avaient effectivement lu – mais chose étonnante, beaucoup se sont focalisées sur deux personnages et leur histoire d’amour en passant rapidement sur le reste : c’est là à mon sens une lecture bien trop superficielle. On leur a donné raison puisqu’une suite semble-t-il sirupeuse à souhait est sortie il y a quelques années, avec l’autorisation des héritiers de Margaret Mitchell.

9. Parfois, c’est comme si Margaret Mitchell était venue lire ce site en s’aidant d’une machine à remonter le temps pour en faire un roman et avait assisté, invisible, à certains séminaires pour tirer matière à une construction qui relève de la perfection (j’ose le mot). Bien sûr, elle l’a fait à sa manière, mais je serais vraiment bien surpris  qu’un lecteur n’y trouvât absolument rien d’intéressant.

10. Vous comprendrez pourquoi la littérature demeure un art bien supérieur et bien plus profond que le cinéma : le film finit par s’oublier assez rapidement, le livre reste en vous et vous accompagne d’une manière ou d’une autre, votre vie durant.

10 bis. Enfin, vous arrêterez le trop féminin Mojito pour passer au viril et très ancien Mint Julep dont il est l’inspirateur (Bourbon, menthe, sucre, glace), servi dans un gobelet en argent de préférence.

Bien sûr, je connais d’autres raisons qui valent à ce livre d’être lu, et la richesse de cet ouvrage n’a été qu’effleuré, mais dans le cadre de ce site, ce sont là les principales qui méritent à mon sens d’être soulignées. Et vous, vous en voyez d’autres ? N’hésitez pas à le faire savoir, en commentaires.

Maurice


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9 commentaires

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  • Un grand merci, Maurice, pour une si belle recommandation. En passant outre les idées reçues que j’avais sur cet ouvrage, je me régale à tous points de vue :

    – comme tu l’as annoncé, la fresque est splendide et retrace à merveille les usages et mentalités des Etats du Sud. La plume de l’auteur est riche, ses personnages travaillés et ses descriptions savoureuses, ce qui ne gâche rien.

    – la logique de F et le système de valeurs de FE sont détaillés point par point, de manière tout à fait transparente. Je n’ai commencé que lundi, et j’ai déjà rencontré une quinzaine d’illustrations parfaites des séminaires du patron.

    – sur édition électronique, en s’amusant à consulter les fragments les plus souvents surlignés, il est possible d’entrouvrir une fenêtre sur l’inconscient collectif d’un lectorat essentiellement féminin. Là aussi, je serais passé à côté de cet aspect il y a quelques années, mais maintenant, le constat est frappant.

  • Merci pour ce très bel article qui incite à la redécouverte et…vaut bien un extrait sans doute ? ;-)

    Alors, voici :

    « Je vous dis que c’est impossible, insista le docteur, Madame Hamilton ne voudra pas. »

    Scarlett entendit une voix que, tout d’abord, elle ne reconnut pas…sa propre voix !

    « Si, je veux ! »

    Elle se dressa d’un bond. Son cœur battait si fort qu’elle eut peur de chanceler. Son cœur battait follement à l’idée d’être à nouveau le centre de tous les regards, d’être la femme la plus désirée et, surtout, surtout à l’idée de se remettre à danser.

    « Oh ! Ca m’est égal, ça m’est égal ! Qu’ils disent ce qu’ils voudront ! » mumura-t-elle entre ses lèvres tandis qu’une frénésie délicieuse s’emparait d’elle.

    Elle rejeta la tête en arrière, fit le tour du comptoir. Ses talons claquaient sur le plancher comme des castagnettes. (…) Alors elle se trouva au milieu de la salle de bal. Fendant la foule, Rhett Butler s’avança vers elle. Il avait toujours son détestable sourire moqueur. Mais tant pis ! Ca lui était aussi égal que si elle avait eu affaire à Abraham Lincoln en personne. Elle allait danser. Elle allait conduire le quadrille. Elle gratifia son cavalier d’une profonde révérence et d’un sourire radieux.

  • Bravo Maurice, j’attendais un peu cet article, je dois dire qu’il m’a pas déçu et malgré ma mauvaise opinion du film, je vais me plonger avec joie dans le roman!

    une coquille (sur le point « 3) » ):
    « Et Margaret Mitchell et analyse remarquablement tout ce que cela implique »
    Ca fait beaucoup de « et » :P

    Je ne commenterai pas le point « 10) » qui découle bien plus souvent de l’utilisation qu’on fait du cinéma (comme divertissement sensé remplir le vide de nos têtes) que de sa nature même.

  • Un mot sur le titre, qui m’a toujours intrigué. Je vais préciser mon interprétation un peu abusive, faite sans documentation particulière. « Autant en emporte le vent » est une jolie expression française qui « qualifie les promesses qui ne seront pas tenues ». L’expression était déjà employée dès le XIIIe siècle. Elle est tirée d’une phrase de l’Ancien Testament : « Et le vent les emporta sans qu’aucune trace n’en fut trouvée. » Elle pointe la vanité des hommes, et la fugacité des choses qu’on croit acquises.

    L’expression est une jolie trouvaille pour une traduction très fine qui interprète légèrement « Gone with the wind », littéralement « Emporté par le vent ». Wikipédia en anglais nous informe que Margaret Mitchell s’est inspiré d’un poème de Ernest Dowson, mais lui-même s’est peut-être inspiré de la Bible… :
    « I have forgot much, Cynara! gone with the wind,
    Flung roses, roses riotously with the throng,
    Dancing, to put thy pale, lost lilies out of mind… »
    tandis que l’expression est reprise dans le livre une fois : mais de ceci je n’en dirais rien, car je ne veux pas dévoiler d’éléments de l’histoire.

  • Merci pour cet article. Ce bouquin était sur ma wish-list depuis longtemps mais tu viens de me donner envie de le lire au plus tôt.

  • Noté sur ma to-do list, merci Maurice.

    Ca me rappelle Eugène Onéguine, de Pouchkine.

    Rares sont les bouquins qui te donnent des modèles et des leçons de vie comme ceux-là